La critique du 9ème Art

Introduction

Le présent texte est un travail de recherche/exposé élaboré dans le cadre du module « Critique de l’Art », dans le cadre du master spécialisé « Didactique, Littérature, Langage, Art et TICE » au Laboratoire « Littérature, Art et Ingénierie Pédagogique » à l’Université Ibn Tofail, Kénitra. Avril 2021.


Il n’est pas aisé de s’adonner à la critique d’un art qui a difficilement trouvé sa place parmi les autres arts. En effet, initialement appréhendée comme un médium destiné à un public jeune, voire puéril, la BD n’a pas toujours été vraiment “prise au sérieux”.

La BD semble être pratiquement le seul art (littérature) destiné d’abord aux enfants. La poésie, le théâtre, le roman ont tous visé d’abord un public adulte. Ce n’est qu’ultérieurement qu’ils ont été adaptés pour un public moins adulte. Paradoxalement, la BD a changé de public dans l’autre sens et l’on se retrouve aujourd’hui avec une BD destinée spécifiquement à une audience adulte,  et même interdite des fois aux plus petits.

La critique de la BD a vu le jour sur les zones de commentaires en réaction aux publications sur des librairies en ligne. Des plateformes comme Amazon ou récemment Comixology offrent la possibilité aux acheteurs/lecteurs de réagir par rapport à leurs lectures et partager ainsi leurs retours et leurs ressentis.

Un système d’évaluation s’est installé petit à petit sur ces plateformes, permettant aux lecteurs de laisser des pouces en l’air pour apprécier une œuvre ou des pouces dans l’autre sens pour signifier une critique plutôt « négative ». Cette logique de commentaires laissés sur les sites d’achat de bandes dessinées en ligne s’apparente à une logique de critique “pseudo-littéraire” de ce type de medium et influence par là les choix de lecture des amateurs de cet art. 

Nombre de questions fort intéressantes se posent alors et nécessitent des éléments de réponses :

  • Existe-t-il une critique de la BD, dans les règles de l’Art? 
  • Y aurait-il des critiques confirmés de BD? 
  • Comment critiquer une œuvre en bande dessinée ?
  • Comment les adeptes de la BD sont passés d’écrire (et dessiner) des BD à écrire à propos des BD?

Comme les autres genres littéraires et artistiques, la BD possède aussi sa propre Histoire, ses courants,  ses grands auteurs, ses grandes œuvres, ses festivals, ses prix, et bien sûr ses critiques.


L’Art invisible de Scott McCloud

Afin de nous rapprocher davantage du concept de la critique de la BD ou du 9ème Art, nous avons jugé utile de présenter un ouvrage qui constitue une référence en la matière et qui a été salué par les plus grands noms de cet art (Will Eisner, Art Spiegelman, Alan Moore…). 

Couverture de l’ouvrage « L’Art Invisible » de Scott McCloud

Il s’agit de L’art invisible écrit en 1993 par Scott McCloud, un auteur de BD et essayiste américain. Cet ouvrage constitue selon les spécialistes du 9ème Art un réel essai critique traitant de la bande dessinée. C’est le premier d’une série de trois ouvrages tous destinés à l’analyse du 9ème Art. Les deux autres ouvrages s’intitulent : 

  • Réinventer la bande dessinée (Reinventing Comics, 2000). Traduit en français en 2002 ;
  • Faire de la bande dessinée (Making Comics, 2006). Traduit en français en 2007.

L’Art invisible est le titre français de “Understanding Comics”, rédigé (et surtout dessiné!) par Scott McCloud. La version suédoise de cet ouvrage a reçu le prix Urhunden du meilleur album étranger en 1996. Sa version française obtient le prix de la critique de l’ACBD en 2000. Il a également été nominé pour l’Alph’Art du meilleur album étranger au Festival d’Angoulême 2000.

En effet, cet ouvrage constitue en lui-même une bande dessinée qui parle de bande dessinée. C’est une idée pour le moins ingénieuse car cette mise en abîme permet aux lecteurs une véritable immersion dans cet art, d’emblée.

Le héros de cet essai en bande dessinée est Scott McCloud lui-même. L’auteur se met en scène dans les différentes vignettes de l’ouvrage pour parler du 9ème art et pour en expliquer les tenants et les aboutissants. 

L’Art invisible est constitué de neuf chapitres :

  1. Pour savoir de quoi l’on parle
  2. Le vocabulaire
  3. Du sang dans le caniveau
  4. Le temps en case
  5. Une vie dans la ligne
  6. Montrer et dire
  7. Les six étapes
  8. Un mot à propos de la couleur
  9. Mise au point
Table de matières de l’ouvrage « L’Art Invisible » de Scott McCloud

A travers une conversation que le personnage dessiné de McCloud entretient avec le lecteur de son ouvrage, il construit graduellement une définition de la bande dessinée afin de la décrire dans son unicité et sa différence par rapport aux autres media narratifs. 

Scott McCloud essaie d’expliquer les mécanismes d’une planche, d’une vignette (ou case) de BD, et l’interaction entre ces vignettes. A ce stade, il évoque le concept de “gouttière” ou “espace inter-vignettes”. Cet espace blanc et vide séparant les différentes vignettes mais qui recèle le plus important de la narration par la BD. Notre esprit de lecteur de BD remplit de façon inconsciente cet espace car il est conditionné par le travail de l’artiste à l’intérieur des cases. Ce “vide” représente finalement de l’Art invisible.

Page N° 20 de l’ouvrage « L’Art Invisible » de Scott McCloud

L’Art invisible de McCloud a néanmoins reçu certaines critiques négatives stipulant que ce travail ne fournit que quelques approximations sur les origines de la BD, en remontant à des formes de narration figurative plus anciennes alors que la plupart des spécialistes de cet art s’accordent pour attribuer l’invention de la BD au Suisse Rudolph Topffer aux alentours de 1827. On lui reproche aussi une approche trop “technicienne” et pas assez théorique de la BD et aussi une appréhension un peu trop simpliste du 9ème Art. 


La Critique de la BD, comment?

C’est d’ailleurs dans ce sens que la question de l’existence même d’une critique de la bande dessinée se pose toujours. Alors que certains pensent que les ouvrages rédigés à ce jour à propos de l’art constituent une certaine critique bien fondée, d’autres n’y voient qu’une approche toujours “techniciste”. Ces derniers, surtout en Europe, pensent que la plupart des experts “autoproclamés” qui ont rédigé à propos de la BD sont toujours au niveau du médium, sans pour autant franchir les frontières de la critique vers le véritable concept de “l’art”.

Dans ce sens, Dubreuil et Pasquier (2006), comparent la critique à “un geste chirurgical, [un] coup de scalpel qui dissocie l’art et le médium ». Dans leur article intitulé « Du voyou au critique : parler de la Bande dessinée » et paru dans le numéro 25 de la revue Labyrinthe, Laurent Dubreuil et Renaud Pasquier résument la question de la critique de la bande dessinée dans ces mots :

Dans le cas de la Bande dessinée un triple réflexe absolutiste a sans doute prévalu : celui du fan, dont la passion embrasse le medium dans son entier, et qui refuse toute amputation de l’objet adoré ; celui de l’ennemi, qui, tout à sa haine, ne se préoccupe pas de séparer le bon grain de l’ivraie ; celui des savants, historien ou théoricien, qui font feu de tout bois, la question de la valeur n’étant pas pertinente sous le regard scientifique.

Laurent Dubreuil et Renaud Pasquier, revue Labyrinthe, 2019.

L’on retrouve donc les différentes réactions de ces trois types de “critiques” dans les différentes publications, tant sur papier qu’en ligne. Ce qui demeure certain toutefois, c’est que tout le monde s’accorde sur le fait que la BD est une forme d’expression ayant ses propres codes ainsi que sa propre histoire. Cela conforte inévitablement l’idée qu’une critique de la bande dessinée, dans les règles de l’art, puisse exister un jour. 

Extrait de la page N° XX de l’ouvrage « L’Art Invisible » de Scott McCloud

La BD, un Art confirmé

Aujourd’hui, il n’est plus question de militer pour la BD en tant qu’art : c’est désormais LE Neuvième Art, reconnu partout ailleurs dans les sphères artistiques mondiales. La BD possède désormais ses propres festivals et prix qui prouve qu’elle fait l’objet d’une certaine réception chez ses lecteurs. 

La bande dessinée est un phénomène désormais universel. On la retrouve dans la plupart des pays, aussi bien en tant que production locale que traduction dans plusieurs langues. En témoigne par exemple la série Astérix qui a été traduite dans plus de 110 langues, à travers le monde. Nous ne disposons pas d’assez de temps pour citer d’autres exemples d’œuvres de bande dessinée qui témoignent de l’importance de cet art qui dépasse le stade d’un simple medium d’expression pour constituer une certaine littérature à part entière.

La bande dessinée, de par sa nature spontanée de récit par l’image, continue à rendre services à plusieurs autres arts et professions. Ainsi, le concept de story-board qui n’est autre qu’une forme basique de BD demeure une étape nécessaire avant la production d’un film cinématographique, d’un film d’animation, d’un documentaire, … On y a recours même dans le cadre de gestion de projets tant industriels qu’éducatifs. C’est une forme de narration qui tire sa force de sa combinaison texte-image qui permet de véhiculer du sens même sur un support aussi figé que le papier. 

Extrait de la page N° XX de l’ouvrage « L’Art Invisible » de Scott McCloud

Conclusion

Le présent exposé, aussi sommaire soit-il, constitue un pas vers une recherche plus poussée autour de la bande dessinée comme art. Notre dessein est de dépasser ces approches d’ordre technique pour toucher à des aspects plus artistiques de cet art qui continue à s’affirmer et à faire ses preuves au quotidien.

Extrait de la page N° XX de l’ouvrage « L’Art Invisible » de Scott McCloud

Nous aurions aimé nous étaler davantage sur le sujet de la bande dessinée du point de vue de la critique. Le sujet constitue, à notre sens, un chantier en devenir et représente même l’une des pistes de recherches qui intéresserait un étudiant en master ou un futur doctorant. 

Références webographiques  


Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *